Ou comment je me suis creusé la tête pour répondre à une question qui paraissait pourtant simple.
Bonjour à vous qui découvrez ce blog ! Sur les internets je m’appelle Ezelty, et sur ce blog je posterai principalement des critiques de livres, ainsi que quelques articles de réflexion autour des livres.
Pour que vous sachiez où vous mettez les pieds, je me suis dit que j’allais commencer par vous parler de mes livres préférés. Je me suis récemment interrogée sur la question en répondant à un sondage du journal Le Monde qui demandait à ses lecteurs⋅trices quels étaient leur cinq romans préférés. Disons que j’ai eu beaucoup de mal à n’en citer que cinq. Je me suis posé beaucoup de questions et je me suis dit que j’allais vous raconter tout ça, que ce serait probablement un point de départ intéressant pour vous parler de mon rapport aux livres et de mes goûts littéraires.
Livres, auteurs⋅trices et grands ensembles (pas les immeubles)
Le premier, ça allait, La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, facile. Juste après l’avoir lu, j’ai su qu’il venait de devenir mon livre préféré. En quelques mots : un groupe de vingt-trois personnes voyagent pour chercher l’origine du vent, c’est une quête physique et métaphysique portée par une langue riche et poétique et même temps qu’un roman choral que je ne pensais pas être capable de résumer en une phrase. Ensuite, je savais que je caserais quelque part l’intégralité de la série Harry Potter et de l’œuvre de Pierre Bottero, sacrée l’une puis l’autre livre préféré de toute ma vie avant de se faire remplacer par autre chose. Évidemment, il fallait se limiter à un livre à chaque fois, j’ai donc mis l’intégrale du Pacte des Marchombres à la place 2 et le tome 6 d’Harry Potter à la place 3. Harry Potter je suppose que vous connaissez à peu près, et le Pacte des Marchombres est une trilogie de fantasy jeunesse/ado absolument formidable.
Ensuite, je savais plus trop. Je me suis cependant rendu compte d’un truc : pour moi, mes livres préférés, ce ne sont pas des livres, ce sont des blocs. Par bloc, j’entends trilogie, série, auteur⋅trice. Parce que finalement, si j’ai autant aimé Harry Potter, c’est parce qu’il y a sept tomes qui déploient une histoire, et que j’ai passé une bonne partie de mon enfance à les lire ; si j’ai autant aimé les livres de Pierre Bottero, c’est parce qu’ils forment une ou des unités de 3, 9, 15 ou 28 livres, et que j’ai passé une bonne partie de mon adolescence à les lire. C’est un peu moins fort pour Damasio, mais j’ai aussi adoré son roman La Zone du Dehors et ses nouvelles, et j’ai passé une bonne partie de mes études supérieures à lire ses livres. Bref, vous l’aurez compris, ils sont devenus des compagnons de route. Dans le cas d’Harry Potter et de Pierre Bottero, les différents livres se complètent et permettent aux suivants de se construire et de devenir aussi marquants ; ils sont pour moi indissociables les uns des autres. Même si j’ai réussi à faire un choix, j’ai compris que ma liste ne représenterait pas mes cinq livres préférés, mais mes cinq ensembles préférés : l’œuvre intégrale ou principale des cinq auteurs⋅trices que j’aime le plus. Je n’ai pas souhaité mettre dans la liste plusieurs livres du⋅de la même auteur⋅trice. J’ai aussi compris, en voyant ce qui occupait le haut de classement, que mes livres préférés étaient ceux avec qui j’avais longuement cheminé, qui m’avaient fortement marquée et avaient participé à modifier ma manière de voir le monde, l’existence et la littérature.
Les livres qui restent
Pour la suite de la liste, j’ai eu un peu plus de mal. J’ai vite repensé aux Villes invisibles d’Italo Calvino, que j’ai aimé au point de vouloir faire un mémoire de recherche en partie dessus. Pas vraiment un roman d’ailleurs, c’est un livre qui rentre difficilement dans des cases et qui présente les villes de l’Empire du Grand Khan. Chacune fait l’objet d’une courte description et est rattachée à une grande catégorie (la mémoire, les signes, la mort…) : plus que des villes, ce sont finalement des visions du monde, des grands modèles. Le tout est extrêmement travaillé et assez extraordinaire.
J’ai décidé que ce livre serait le représentant du grand ensemble « Littérature italienne du 20e siècle étudiée en master », la catégorie de livres que j’ai passé beaucoup de temps à lire qui prend le relais d’Alain Damasio, si vous suivez bien. Il y aurait beaucoup d’autres livres à citer dans cette catégorie, mais on va dire que celui-ci en est un bon exemple.
Pour le dernier, ça devient vraiment compliqué. D’abord parce qu’il ne reste qu’une place : choisir une œuvre élimine automatiquement toutes les autres. J’ai essayé de retrouver les romans qui m’avaient le plus marquée, mais les titres que j’ai trouvés ont fait naître une nouvelle question : les livres qui m’ont marquée, est-ce que c’est ceux qui m’ont marquée sur le moment, ou ceux que je considère encore aujourd’hui comme particulièrement importants pour moi ? Je penche pour la deuxième solution. Le problème, c’est que de cette façon les livres les plus récemment lus ont à la fois un avantage et un handicap par rapport à ceux lus moins récemment. L’avantage, c’est qu’ils sont encore tout frais, donc leur importance n’a pas eu le temps de s’atténuer. Le handicap, c’est qu’ils ne sont pas encore passés par le filtre du temps qui, des années après, révèle les livres qui ont vraiment compté. Je me retrouve avec deux catégories peu satisfaisantes : d’une part, les livres que j’ai adorés plus jeunes, mais dont le souvenir que j’en ai gardé n’est peut-être plus aussi ému aujourd’hui (beaucoup de littérature jeunesse, par exemple) ; d’autre part, les livres que j’ai lus cette année et dont la proximité temporelle provoque dans mon esprit un soupçon de concurrence déloyale par rapport aux livres plus anciens (notamment ce que j’ai lu de Jo Walton ou de Marie-Aude Murail). Et puis, par ailleurs, il y a aussi des livres qui ne m’ont pas vraiment marquée sur le moment, mais qui continuent à résonner en moi. Comment faire la part des choses ? La première catégorie est trop teintée de nostalgie, la deuxième n’a pas encore pris la patine des classiques et la troisième ressemble à une trahison par rapport aux deux premières catégories (je ne vais quand même pas choisir un livre que je n’avais pas conscience d’avoir inscrit dans le catalogue de mes livres préférés). Il y a enfin tous ces livres que j’ai trouvés tellement riches mais sans les adorer au point de les mettre dans mon top 5. Beaucoup de livres étudiés en cours, par exemple.
Alors voilà, en fin de compte, sans vraiment savoir pourquoi, j’ai mis en numéro cinq le premier tome de L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante. C’est encore une fois le représentant de toute une série, dont j’ai déjà adoré le premier il y a deux ans et le deuxième cet été. Ce sont des livres d’une grande richesse qui racontent la vie de deux jeunes filles des quartiers pauvres de Naples, et qui font probablement partie d’une catégorie que j’appellerais « Littérature fin XXe/début XIXe à connotation féministe », oui c’est précis. Parce que ce livre est génial, parce que je l’ai lu à la fois récemment et moins récemment, parce que je ne pouvais pas décemment clore cette liste sans une autrice.
Ce qui m’a étonnée, c’est que, après avoir hésité entre ce livre et Mes vrais enfants de Jo Walton (qui entrait un peu dans la même catégorie), j’ai finalement choisi L’Amie prodigieuse. Sauf que : juste après ma lecture, ce n’est pas à celui-ci que j’avais mis la meilleure note dans mon carnet de lecture. J’ai vraiment pris conscience du fait que j’ai beau mettre des notes ou des appréciations en sortant d’un livre (1), c’est loin de constituer ce que j’en retiens vraiment, même quelques mois après. Cet élément rend d’ailleurs la relecture assez problématique : quand je relis des livres préférés avec des yeux plus vieux, il y a toujours un risque de les faire tomber de leurs piédestaux et de bouleverser mes mythologies personnelles.
Conclusion : c’est ça, ma liste ?
Maintenant, je relis cette liste et je suis un peu perplexe. Est-ce que c’est vraiment ça, mes cinq romans préférés ? Si vous avez bien suivi :
- La Horde du Contrevent d’Alain Damasio
- Le Pacte des Marchombres de Pierre Bottero
- Harry Potter de J. K. Rowling
- Les Villes invisibles d’Italo Calvino
- L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante
Ça fait bizarre de les voir tous ensemble. Parce qu’autant les trois premiers sont évidents, autant les deux autres, vraiment ? Est-ce que je peux vraiment en faire une liste, est-ce qu’ils vont bien s’entendre ensemble ? Est-ce que certains ne sont pas en train d’usurper la place d’autres livres que j’ai adorés aussi à la même période que les cinq retenus ? (2) Il y a tellement de livres que j’ai aimés et dont je n’ai pas parlé, il faudra que j’écrive d’autres articles pour présenter des tops 10 ou 100 un peu plus thématiques pour tous vous les présenter.
Pour finir, qu’est-ce que cette liste représente ? Les cinq livres qui m’ont le plus marquée ? Les cinq livres grâce auxquels je me suis construite ? Les cinq meilleurs livres au monde ? Les cinq livres les plus intéressants qui soient ? Et au fond, qu’est-ce que je veux qu’elle représente ? Un peu de tout ça, probablement. Seulement voilà, chacune de ces listes me paraît impossible à établir. Parce que tout classement est subjectif et est toujours limité, fatalement, par les livres que j’ai lus. Parce que l’appréciation d’un livre change avec le temps. Parce que je ne sais pas aujourd’hui lesquels auront construit ma vie ou en tout cas ses vingt-quatre premières années.
J’ai repensé à l’objectif du Monde : établir le classement des cent livres préférés des lecteurs⋅trices. Est-ce que je n’aurais pas dû mentir un peu et ne donner que des livres que j’ai bien aimés, mais plus connus, plus largement appréciés, pour leur permettre de peser un peu plus ? Plutôt que de faire partie des trois personnes qui ont adoré un livre qui ne sera pas dans le top 100, faire partie des trois mille personnes qui auront bien aimé un livre qui pourrait ainsi atteindre la centième place du classement ? Bref, faut-il voter utile ? Ma réponse a été non. Déjà parce que je ne sais pas ce que voteront les autres, ensuite parce qu’établir ma liste personnelle était un enjeu plus intéressant que de voir un de mes autres livres d’amour faire partie du classement final.
J’ai fini par comprendre que mon classement, tel que je l’avais construit, était plutôt une liste de cinq clés littéraires pour entrer dans mon univers. Dans cet univers, il y a tout ça : beaucoup d’imaginaire, la France et l’Italie, de grandes séries partagées par ma génération, de grandes visions du monde, du féminisme et de la prose riche en poésie. Si ça vous va, vous pouvez rester. Je laisserai la porte ouverte.
(1) Je ne suis pas particulièrement favorable aux notes, simplement je me rends compte que si je n’écris pas une appréciation synthétique du livre que je viens de lire, j’ai tendance à oublier à quel point j’ai aimé tel ou tel livre. Ce qui, d’ailleurs, a beaucoup à voir avec ce que je raconte dans cet article.
(2) En écrivant ce paragraphe je me rends compte que ça a un côté « jouet préféré d’Andy » dans Toy Story, et je me souviens à quel point ça a été difficile pour que Woody et Buzz deviennent ensemble les deux jouets préférés. La comparaison est plutôt hasardeuse mais soit.
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