Mes vrais enfants semble commencer comme un roman de vie assez classique. Une vieille femme, Patricia, aux souvenirs assez confus. Un flash-back sur ses jeunes années, au début du vingtième siècle : l’Angleterre, la Seconde Guerre mondiale, des études et un premier poste de professeure d’anglais. Et puis Mark, ce jeune homme avec qui elle se fiance dans l’optique de se marier dans un futur plus ou moins proche. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu pour Mark, qui annonce un jour à Patricia que si elle veut l’épouser, c’est maintenant ou jamais.
Maintenant ou jamais
C’est là que le roman dévoile toute son originalité : face à un choix aussi difficile, l’histoire se sépare en deux directions que le récit va explorer en alternance, un chapitre après l’autre. Ça ressemble à un défi risqué, mais Mes vrais enfants le relève magistralement. Non seulement sa construction lui donne un relief particulier, mais l’histoire racontée est passionnante. Les deux vies de Patricia partent dans des directions très différentes, mais toutes les deux traversent l’Histoire et rencontrent de grandes problématiques de la deuxième moitié du vingtième siècle : l’émancipation des femmes, la Guerre Froide et la menace nucléaire, la montée du néo-libéralisme… ainsi que des thématiques universelles comme l’amour, la famille et la vieillesse, traités avec beaucoup de sensibilité. Ce sont autant de jalons qui rapprochent les deux histoires. Malgré les divergences, Patricia est la même dans ses deux vies et Jo Walton a su en faire un personnage cohérent.
« Every life means the entire world »
À travers l’alternance entre deux vies divergentes, le livre invite à réfléchir à la façon dont une décision peut changer une vie. « Que se serait-il passé si… ? », c’est la base de toutes les uchronies. On pourrait retirer de ce livre l’idée que chaque décision est cruciale et peut faire basculer notre vie d’un côté ou d’un autre et nous faire manquer de grandes choses. Il me semble plutôt que ce que dit Mes vrais enfants, c’est que ces décisions ne changent pas la valeur de notre vie. « It is a novel about how every life means the entire world », indique la quatrième de couverture de mon édition britannique, et c’est vraiment ce que j’ai ressenti en le lisant : chaque vie est un monde entier. Au bout du compte, on a deux grands récits de vie, deux grands récits complets et larges, aussi riches l’un que l’autre. Chacun a ses grands moments et ses douleurs, très différents, qui les rendent incomparables. Il en ressort quelque chose de plutôt rassurant. J’ai lu ce livre alors que j’étais en pleine reconversion professionnelle et que je doutais énormément, et j’y ai trouvé l’idée que peu importe le chemin que je choisirais, j’irai quelque part et construirais une vie qui serait la mienne.
S’il faut encore des raisons pour lire ce livre
En plus de tout ça, j’ajouterai que c’est un livre féministe qui présente une grande diversité de personnages. Il parle notamment d’homoparentalité, de polyamour, de handicap.
Le seul point négatif à mon avis c’est qu’il manque un accent dans le nom du glacier italien mentionné dans le livre, mais c’est peut-être corrigé dans l’édition française.
Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce livre, j’ai même hésité à l’inclure dans la liste de mes cinq romans préférés. Je pense qu’il peut plaire à un public assez varié, à la fois aux lectrices et lecteurs de science-fiction habitué⋅e⋅s à des concepts originaux, et à celles et ceux qui apprécient les récits de vie riches en émotions.
(TW : viol, mort, maladie)
Références
- Mes vrais enfants, Jo Walton, traduit par Florence Dolisi, Denoël, 2017 ou Folio SF, 2019
- En anglais : My Real Children, Jo Walton, Tor, 2014
- De la même autrice, j’ai également lu Morwenna et la trilogie du subtil changement (Le cercle de Farthing, Hamlet au paradis, Une demi-couronne), que je vous conseille tout autant.
- Si Jo Walton vous intéresse, n’hésitez pas à aller sur son site où elle donne des informations sur ses livres et ses dédicaces et répond aux questions. Elle a beaucoup d’humour, je l’adore.
- Je vous conseille également deux conférences avec Jo Walton, dans lesquelles elle parle notamment de Mes vrais enfants :
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